INTERVIEW
António Madeira : Un lusodescendant dans les vieilles vignes du Dão
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3 years agoon
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Alice BarrosEn 2010, il décide de revenir, avec sa famille, s’installer dans la région de ses grands-parents : le Dão, autrefois connu comme l’un des plus beaux terroirs pour la vigne où se produisait ce qu’on appelait les «Grands Crûs des hauts plateaux du Dão».
Antonio est né à Paris où il a grandi et travaillé comme ingénieur pendant une quinzaine d’années. Le vin est devenu une passion qui a débuté entre amis. Du fait de ses racines familiales, il s’intéresse aussi aux vins portugais. Il découvre alors que la région de ses grands-parents au Portugal, le Dão, était la plus ancienne AOC du pays (1908) et qu’il y avait là un potentiel naturel pour produire de grands vins de garde, sur la finesse et la fraîcheur, aussi bien en blanc et qu’en rouge. Les vieilles vignes centenaires, complantées de 40 cépages autochtones, se trouvaient dans un état d’abandon progressif. Il y a vu une opportunité pour changer de vie et tenter de vivre de sa passion pour le vin.
La philosophie du domaine :
le respect du sol, de la plante et du fruit, à savoir l’expression du terroir de la Serra da Estrela. Il n’utilise aucun pesticide et travaille ses sols au cheval. Dans les chais, il utilise des levures indigènes et des fermentations en cuves ouvertes. Le vin, qui est plus infusé qu’extrait, poursuit son élevage dans des barriques neutres pendant 18 mois.
Un vin se forme par l’assemblage de trois éléments indissociables : le terroir, la main du vigneron et l’année. Comment êtes-vous arrivé à réunir ces éléments?
Par des pratiques et des modèles que j’ai trouvés en France; en Bourgogne et un peu partout dans différentes régions. Ensuite, en cherchant à appliquer ces méthodes dans le terroir du du Dão, là où j’ai mes racines familiales, pour justement révéler l’expression de l’originalité de ce terroir dans les vins que je produis. Cela consiste essentiellement à retravailler les vignes avec des méthodes ancestrales comme le faisaient nos grands-parents.
C’est un vin naturel appelé biodynamie. D’abord j’applique ces principes dans les vignes et ensuite, au niveau du chai avec les levains indigènes, sans vins Trans – sans produits chimiques – de manière à avoir un vin très pur, sans interférence entre le terroir et ce qu’on a dans le verre. L’idée est de retrouver les différents éléments du paysage du pied de la montagne de Serra da Estrela : le granit, les fleurs, les résines, les pins, les herbes aromatiques et toutes sortes d’éléments. Ainsi que l’on soit à Paris, à Tokyo ou à New York… quand on met le nez dans le verre on retrouve le paysage du Dão. C’est à la fois un voyage géographique et un voyage dans le temps, car je travaille les vignes qui ont pour les plus anciennes jusqu’à 130 ans, où on trouve 40 / 50 cépages mélangés dans les rouges. Un voyage pour regoûter les vins du Dao de la fin du XIX siècle, début du XX siècle qui sont très différents des vins des 30 dernières années au cours desquelles les vignes ont été arrachées et replantées en bloc mono cépage et mono clone. La vigne et le chai ont subi des méthodes de travail industrielles qui standardisent énormément le résultat final.
En agissant comme nous le faisons nous avons des vins originaux qui vont chercher les sens même du Dão; un peu comme des musées vivants où nous avons de très vieilles plantes, avec de très vieux cépages autochtones qui ont mis des siècles et des siècles à se développer et qui pour moi représentent l’Identité du Dão.
Qu’est ce qui vous a amené à devenir vigneron au Portugal ?
Comme beaucoup de gens, mes parents ont immigré au début des années 70 en France. Moi je suis né à Paris, j’ai grandi à Paris, j’y ai fait mes études et ensuite j’ai travaillé 15 ans en tant qu’ingénieur. J’ai fait du conseil en organisation industrielle pour des grands groupes industriels.
Le vin est une passion qui s’est développée d’un hobby au fil des années. A un moment, je ne me sentais pas complètement réalisé dans mon travail. Je gagnais très bien ma vie mais pour moi cela ne me suffisait plus. J’avais besoin de me sentir épanoui et j’avais envie de pouvoir vivre une passion. Le vin étant devenu ma passion, je m’y suis intéressé de plus près. J’ai cherché ensuite à comprendre ce qui se passait au niveau du vin au Portugal et là j’ai compris que la région où j’allais en vacances l’été depuis tout petit était anciennement la grande région de vin portugais, considérée un peu comme la Bourgogne du Portugal, mais qui était, depuis 30 ans, dans un processus avancé de dégradation et d’abandon.
Je me suis dit qu’il y avait peut-être une opportunité pour pouvoir faire quelque chose et donc j’ai commencé à étudier le terroir du village de mes grands-parents et alentours en essayant de cartographier et de m’inspirer de ce qu’avaient fait les moines en Bourgogne : répertorier les meilleurs crûs des vins et aussi du savoir empirique des petits vieux du village et en allant me balader en regardant le sol, les plantes, etc. A partir de là, j’ai cherché à louer des parcelles et j’ai commencé à les travailler.
Est-ce que vous diriez que le Portugal a la tradition du vin ?
Oui pour l’ancienne génération. Au Portugal on est passé d’un modèle artisanal qui s’approchait du vin naturel, auprès de nos grands-parents, à un modèle, les 30 dernières années, très industriel.
Les vignes sont travaillées d’une manière générale à tracteur, avec des produits chimiques, des herbicides en sol, des produits dangereux pour la santé. Au niveau de la vinification des vins, faits par des œnologues qui « pasteurisent le vin » et tuent toute la microbiologie, refont un modèle simplifié avec tous les produits œnologiques créant des vins qui n’ont pas d’âme.
Ce sont des vins plastiques et standardisés qui représentent, actuellement 99 % des vins au Portugal. Heureusement, il y a quelques vignerons qui commencent à revenir à des méthodes ancestrales, des méthodes travaillées en biologie et travaillées ensuite en chai avec plus de savoir.
C’est un phénomène qui s’est aussi passé en France et un peu partout. Ce qui se passe c’est que les choses arrivent toujours au Portugal avec un décalage dans le temps, mais ça arrive quand même. Je pense que dans une génération ce sera encore plus développé qu’aujourd’hui.
Dire vin naturel c’est la même chose que dire vin biologique ?
Non. Pour être un vin naturel il faut que ce soit biologique. La différence est au niveau du travail à la cave où on fait le vin.
La réglementation biologique autorise l’utilisation d’une centaine de produits œnologiques pour faire le vin. Pour le vin naturel, ces produits œnologiques ne sont pas utilisés, le vin est vraiment pur, sans chimie. C’est pour cela que moi je n’ai pas de qualification bio que je qualifié de schizophrène car c’est bio à la vigne mais à partir du moment où on rentre dans le chai et que des produits chimiques sont utilisés, moi cela ne me convient pas. Par contre, pour être naturel il faut être bio, c’est une condition nécessaire mais pas suffisante.
Je croyais que le vin bio c’était le maximum qu’on pouvait atteindre d’un vin mais d’après ce que vous dites c’est le vin naturel ?
En fait, le vin naturel c’est la prolongation du bio à la cave, c’est être cohérent de A à Z.
C’est pour cela que je dis que la certification bio a été créée à Bruxelles sous la pression des lobbies. Créée pour que des grands faiseurs, des grands industriels puissent faire des vins dits bio et pour les ventes en supermarché, mais pour moi, ce sont des vins sans âme pour la plupart, parce que justement ils ont été pasteurisés et ont des levures sèches qui ont été faites en laboratoire avec des méthodes chimiques.
Dans les vins naturels on peut avoir de très mauvais vins, cela dépend du travail qui est fait par le vigneron.
Est-ce qu’un bon vin n’est pas une question de goût ? Cette histoire de bon vin, n’est-elle pas subjective ?
Pour moi un bon vin c’est celui que vous goûtez, qui déclenche une émotion et vous donne envie de reboire un deuxième verre. Si vous avez du mal à finir votre verre et vous n’avez pas envie d’un deuxième ce n’est pas un bon vin. Ce n’est pas parce que les gens disent qu’il est bon, c’est une question d’émotion, comme celle vous pouvez avoir face à une œuvre d’art.
Le vin, c’est plus qu’une marchandise. Il y a d’autres dimensions, des dimensions culturelles, ethnologiques, la conservation des bio cépages… Pleins de dimensions qui m’attirent dans ce que je fais. Ce n’est pas une question de vendre un produit, mais plutôt ce qui donne du sens à ce que je fais, ce que je n’avais pas dans ma vie antérieure.
Vous avez des compétences et de l’expérience professionnelle. Vous savez qu’à n’importe quel moment vous pouvez arrêter et rebondir sur autre chose. Est-ce que cela facilite les choses ?
J’ai la chance que cela fonctionne bien au niveau commercial. Mon activité à partir du moment où j’ai des gens pour travailler est totalement viable. Il n’y a pas de raison pour que je change. Je ne me vois pas du tout revenir vivre à Paris, pourtant j’adore Paris, j’adore la France et je me sens français, beaucoup plus que portugais mais je ne reviendrai pas y vivre et y travailler dans l’industrie. Je ne me vois pas du tout revenir vivre dans ce modèle-là. Je suis beaucoup plus épanoui dans ce que je fais aujourd’hui. Même si, c’est vrai que j’ai beaucoup de responsabilités en tant qu’entrepreneur dans ce milieu agricole très difficile à vivre, malgré tout je ne regrette pas.
C’est une chance d’avoir une femme qui vit la même passion et qui vous suit ?
C’est vrai que sans elle rien ne serait possible. Elle est portugaise et lorsque je l’ai rencontrée il y a une vingtaine d’années au Portugal, elle a accepté de venir vivre avec moi en France. Elle était infirmière et a travaillé dans les hôpitaux de Paris. Mais maintenant elle a arrêté pour élever nos trois enfants, car les horaires ne sont pas compatibles.
Quelle qualité doit avoir un vigneron ? Est-ce important la créativité ?
C’est vrai que cela se rapproche de l’art mais ça ne l’est pas complètement parce que je n’ai rien créé. Par rapport à un producteur de vin du Portugal, ce que je fais est très différent. J’ai apporté des méthodes qui existaient en France et je les ai appliquées là-bas. Ce que je fais est une fusion.
Quelle est la tendance de consommation que vous voyez en ce moment ? Tendance d’un vin naturel parce que c’est le mieux ou la tendance de ce que c’est la mode ?
Il y a toujours eu dans le vin des effets de mode lors des dernières décennies. Je suis dans une tendance qui, je pense, dépasse l’effet de mode, plutôt une tendance durable qui s’installe de plus en plus. Tout ce qui est lié au vin naturel, c’est-à-dire des vignes travaillées au minima en mode biologique et vinifié sans produits œnologiques, est une tendance qui est pérenne.
Un peu partout, que ce soit à Paris ou ailleurs, dans les grandes zones urbaines, les consommateurs cherchent de plus en plus à avoir des vins qui sont fins, bons pour la santé, sans produits chimiques et qui ont une identité qui procure de l’émotion. Au Portugal je suis l’un des pionniers. Nous sommes au tout début et c’est pour ça qu’aujourd’hui je vends à peu près dans 33 pays dans le monde, alors que j’ai commencé il y a à peine une dizaine d’années.
Quels sont vos projets futurs vis-à-vis de votre terroir, votre vin et de vous-même ?
Mes projets sont surtout d’arriver à stabiliser une équipe solide et complémentaire qui me permettra de prendre du recul et d’avoir un équilibre dans ma vie globale. Entre la dimension professionnelle et personnelle, ces dernières années j’ai énormément travaillé et cela m’a demandé beaucoup d’efforts et de sacrifices pour développer mon activité et la rendre pérenne.
Allez-vous continuer à louer ou avez-vous l’intention d’acheter vos propres vignes ?
Vous savez, six générations ont tissé un lien affectif avec leurs vignes. C’est leur bébé. Ils ont passé toute leur vie à les travailler. Ils sont tristes de les voir mourir. Alors quand un jeune veut bien s’en occuper, ils sont très contents et, en plus, ils reçoivent un loyer annuel. Moi aussi je suis très content car au début je n’avais rien : pas de vigne, pas de chai, uniquement des idées. Maintenant je peux travailler avec de belles parcelles.
Comme je vinifie les parcelles séparément, je les mets les meilleures en bouteille comme l’expression d’un crû, et ainsi au long des années, je cherche à acquérir les parcelles qui me plaisent le plus. En ce moment, je dois être propriétaire de 10% à 15% des parcelles. D’autres, je dois les abandonner car il y a trop de travail et comme je suis perfectionniste et je fais les choses à fond, j’ai du mal à faire le tour de tout en temps et en heure car c’est très consommateur de main d’œuvre.
Cela veut dire que vous misez plutôt sur la qualité ?
C’est mieux. Je pense aussi investir dans le vin et de ne pas faire comme on le faisait à un moment donné, sans qualité et obligé de le vendre à prix coûtant. Maintenant on se concentre dans le bon pour le vendre plus cher, surtout quand on est un petit vigneron comme moi. Pour faire le volume, il faut être une grosse machine, une grosse entreprise industrielle avec de très grandes surfaces avec des moyens adaptés.
Comment s’appelait votre première bouteille ?
Celle que j’ai commercialisée en premier est une bouteille d’un rouge « Vinhas Velhas 2011 »