Interview
Martinho da Vila : grande star de la samba brésilienne

Publié
il y a 10 moisen
Pour
Alice Barros
Dans une conversation pleine d’humour avant sa tournée en Europe, notamment à Paris, le 4 juin à La Cigale.

L’un des artistes brésiliens les plus emblématiques et plusieurs fois récompensé visite Paris lors de sa tournée en Europe. Le carioca qui depuis 1967 est l’une des voix les plus respectées de la samba brésilienne dont ses albums se sont vendu à des millions d’exemplaires, vient sur les scènes Mondiales, après la sortie de son nouveaux album “Mistura Homogênea” (Mélange Homogène), présenter son talent, riche d’une une carrière de plus de 50 ans.
Paris cosmopolite, ville de culture européenne, accueille ainsi un concert qui restera dans l’histoire de la ville et de la carrière du musicien qui porte avec lui l’histoire de la samba brésilienne.
Qu’est-ce qui vous a amené à la musique ? À quel âge avez-vous commencé ?
La musique est entrée dans ma vie comme ça, je ne sais pas quand, mais c’était depuis mon enfance. Puis j’ai commencé à faire quelques petites chansons… et j’ai participé à un festival de musique très important à la fin des années 70, à São Paulo, avec la chanson « Menina Moça » et c’est là que tout a commencé. Je n’ai pas commencé jeune, j’avais déjà la trentaine. A l’époque j’étais dans l’armée mais pas comme soldat, j’étais commis et comptable; c’était un sergent bureaucrate.
Qui vous a inspiré ?
Je n’avais personne comme guide, comme icône, parce que je ne pensais pas être chanteur. Je n’avais pas cette intention. Quand j’ai participé au festival, la maison de disques a aimé ma voix et m’a engagé. Puis j’ai enregistré le premier single : “Casa de Bamba” et c’était le plus gros tube du Brésil.
De tous les concerts que vous avez donnés, quel fut celui qui vous a le plus marqué ?
J’ai fait de nombreux concerts au Brésil et dans le monde. Je suis allé en France où j’ai chanté dans plusieurs salles. J’ai hâte d’aller à Paris. “J’aime beaucoup la France” comme disent les Français. Celui dans lequel je me suis sentit vraiment vivant c’était un spectacle que j’ai fait à l’Olímpia il y a longtemps. Ça a été super !
Quel a été le prix que vous avez plus aimé recevoir ?
J’ai eu de nombreux prix. Prix de carrière. Le plus récent était aux États-Unis, à Las Vegas : le prix d’excellence en musique qu’ils décernent à peu de personnes dans le monde. Ça s’est super bien passé ! j’aime tous les prix ! Par exemple, si je gagne un tout petit et que c’est le plus récent, c’est celui que je préfère !
Dans cette tournée, même si elle peut être fatigante, qu’est-ce que vous motive ?
Ce qui m’inspire, c’est l’envie de montrer de nouvelles musiques, de nouvelles formes, de nouvelles expressions corporelles… ça va être une bonne tournée ! Je serai en France, en Angleterre, en Allemagne et au Portugal. Ça sera très bien ! J’aime beaucoup le Portugal. J’aime beaucoup la cuisine portugaise. Mais quand je suis à Paris, j’aime aussi manger des plats français… boire du vin français ! J’ai déjà mangé quelque chose que les Brésiliens n’aiment pas manger : l’escargot !
Si vous n’étiez pas brésilien, quelle nationalité aimeriez-vous avoir?
J’aimerais être… je ne suis pas sûr… soit portugais, soit angolais. Moi aussi j’aimerais être français ! Parce que l’histoire de France m’enchante, la culture française… ce que j’aimerais vraiment être, c’est être français !
Quelle influence un artiste peut-il avoir sur une société ?
L’artiste a l’obligation d’émouvoir les gens avec son art, mais au bout d’un moment il a l’obligation d’amener la société, son public, à la réflexion ! J’aime vraiment faire ça ! Je suis très heureux quand je chante une chanson qui réfléchit et qu’il y a quelqu’un de sérieux qui regarde et écoute avec émotion, un autre qui sourit et un autre qui pleure. C’est très bien !
En ces temps troubles et cette précarité affective, quel message aimeriez-vous laisser ?
Le message qui me semble le plus important c’est l’espoir !
Personne ne peut perdre espoir même si les choses sont difficiles. Il faut être optimiste, penser que ça ira mieux ! « Canta, canta minha gente, deixa a tristeza para lá que a vida vai melhorar… ». Chantez ! Vous pouvez et devez chanter dans n’importe quelle situation, même dans la salle de bain ! La joie doit toujours être cultivée, toujours… toujours… toujours… vous ne pouvez pas perdre la joie ! Sans joie il n’y a pas de bonheur !
La musique occupe une grande partie de votre existence. Quelles sont vos autres passions ou centres d’intérêt ?
La musique prend totalement le contrôle de mon existence. Ce que j’aime vraiment faire, c’est être sur scène ! C’est où j’exerce mon physique, où je fais vibrer les gens. Je m’amuse et j’amuse aussi. La scène est un lieu magique où l’énergie s’échange. Je suis aussi écrivain. J’ai plusieurs livres publiés en France. J’aime toujours écrire. Je viens de sortir un nouveau livre de contes. J’aime les contes et les livres de poésie. J’en mets toujours sur ma table de chevet et avant de me coucher, j’aime lire une histoire courte. Le conte n’est généralement pas très long donc je le recommande toujours. Avant de se coucher, la lecture fait du bien.
Quel est le dernier livre que vous avez lu?
Le dernier était de Geraldo Carneiro, un poète brésilien très connu et un autre qui est Salgado Maranhão très intéressant et des anciens, je recommande l’un des plus grands écrivains du Brésil qui est Machado de Assis, il a un livre intitulé 50 Contos (contes) de Machado de Assis.
Si vous deviez choisir trois albums parmi tous ceux que vous possédez, lequel choisiriez-vous ?
Tout ce que j’ai fait me plaît ! Canta Canta minha gente de 74 est magnifique ! Il y en a un qui est assez différent, qui est Terreiro, Sala e Salão, qui parle de chants de carnaval, maintenant ce que j’aime beaucoup, c’est le plus récent « Mistura Homogénea ».
Quelle influence votre musique a-t-elle eu au fil des ans ?
J’ai été influencé par l’environnement dans lequel je vis. Je suis également très influencé par la musique folklorique brésilienne, la musique du Nord-Est et la musique du Sud. J’aime écouter beaucoup de musique, surtout musique instrumentale et même un opéra. J’y ai vu une fois à Paris un opéra de Pacini. Une beauté! j’ai vraiment apprécié.
Comment voyez-vous le Brésil contemporain ?
Le Brésil est dans une période de transition. C’est un peu déroutant… nous sommes dans une période de menaces contre la démocratie, mais ce ne sont que des menaces, ça n’arrivera pas. Nous aurons des élections en octobre et je crois que Lula sera à nouveau président. Je crois qu’il a été l’un des meilleurs présidents que nous ayons eu dans notre histoire, donc je pense que le Brésil se porte bien malgré les difficultés. Le gros problème au Brésil, c’est que c’est un pays riche avec beaucoup de pauvres. C’est une chose incompréhensible. Il y a des gens en dessous du seuil de pauvreté, c’est ce qu’il y a de plus triste au Brésil.
Vous avez une grande famille. Était-ce un choix ou une coïncidence ?
Ils sont venus… simplement. Les mères sont différentes. Les enfants sont de très bons amis et ils sont tous très talentueux. Une grande star est Mart’nália et il y en a une autre Maira Freitas, diplômée en musique et qui chante aussi très bien. Je suis très proche de la famille. Je pense qu’il y a des gens qui ne sont pas de la famille par le sang mais sont plus famille qu’un parent éloigné avec qui on n’a aucun contact. Les musiciens, par exemple, je les considèrent ma famille, comme le groupe que je vais emmener sur la tournée. Je l’appelle, la famille musicale.
Auriez-vous un passage drôle en studio ou lors d’un concert à partager avec nous ?
Laissez-moi voir ! À Paris, il y a un théâtre qui s’appelle Mogador. Il y a de nombreuses années, un agent a programmé un de mes shows dans ce théâtre. Et le nom du spectacle était nommé juste Martinho da vila, Samba. Ce théâtre, était un théâtre d’opérette et les spectateurs ont cru que c’était une opérette. Ce fut très amusant. Par coïncidence ce jour là, j’étais à moitié aphone, je parlais avec beaucoup de difficulté, mais je riais beaucoup et ils ont ri aussi… ça été une chose merveilleuse, un grand succès.
Qu’est-ce que vous n’avez pas encore fait que vous aimeriez faire ?
Je ne sais pas encore. J’ai fait beaucoup de choses j’ai encore beaucoup à faire mais je ne sais toujours pas ce que c’est ! Je sais juste que j’ai encore beaucoup à faire !
http://www.lacigale.fr/spectacle/martinho-da-vila-3/
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Interview
Daniel Gaudencio : exemple réussi d’intégration
Les nouveaux visages et réalités de la diaspora lusophone

Publié
il y a 7 moisen
24/08/2022Pour
Alice Barros
Daniel est un lusodescendant à la fibre entrepreneuriale et l’esprit d’équipe. Très fier de sa double culture franco-portugaise, à l’adolescence, il a pris conscience que c’était une chance de pouvoir avoir deux pays dans son cœur.

“L’un m’a tout donné depuis ma naissance et l’autre, m’a toujours attiré de par son âme si profonde, sa culture et ses traditions”.
De formation technologique, il travaille dans l’immobilier et s’est engagé comme président dans l’association Luso Possy; une association luso-française à Possy (78), dont la mission est de partager et promouvoir la culture portugaise, composée essentiellement de lusodescendants.
Qui est Daniel? Je suis d’origine portugaise, ma maman est de « Paio Pires » à côté de Lisbonne et mon papa de « Vila Nova » à côté de Tomar dans le centre du pays. J’ai grandi à Maule, petit village du 78, que j’ai quitté en 2002 pour venir m’installer à Poissy, il y a donc 20 ans.
Un plat ? Lasagne – Une monnaie ? Dollar – Un moyen de communication ? Téléphone portable – Une énergie ? Solaire – Une thérapie ? Groupe – Un vêtement ? Chemise – Un meuble ? Bureau – Un test produit ? Automobile – Un service ? Evénementiel – Un droit ? Egalité – Un livre ? L’Alchimiste de Paulo Coelho – Un super pouvoir ? Se téléporter – Une devise ? Carpe Diem
Votre travail – Je suis agent immobilier indépendant, ce qui me laisse la liberté d’organiser ma vie et de pouvoir gérer plus facilement l’association et les projets.
Comment êtes-vous devenu président de l’association Luso Poissy ? Aujourd’hui je suis président mais j’ai été trésorier de celle-ci pendant plus de 10 ans, je la connais donc très bien. Mon grand-père quand il arriva en France dans les années 60, participa à créer l’association franco-portugaise de Maule (78). Cette association existe toujours à l’heure actuelle.
Mes parents n’étant pas particulièrement attirés par le milieu associatif à cette époque, à 14 ans j’ai de moi-même poussé la porte de cette grande association pour intégrer le groupe folklorique. Depuis, je me sens comme investi de cette mission de partager et promouvoir cette belle culture que j’aime profondément.
Parlez-moi de votre asso. Depuis combien de temps existe-t-elle ? Notre association a été reprise en 2009 après être restée en sommeil pendant plusieurs années. Elle est composée d’une équipe formidable. Notre direction est constituée d’un vice-président, Ricardo, d’une trésorière, Sergia, d’une secrétaire, Alice, moi en tant que président… et l’ancien président Nelson qui n’est jamais bien loin de l’association. Tous dans le même état d’esprit et c’est ce qui fait notre force.

S’il n’y avait qu’une seule chose à retenir sur votre asso, quelle serait-elle ? Je voudrai qu’on qualifie mon association comme une association portugaise « NG » (comme Nouvelle Génération)
Les jeune viennent-ils dans votre association ? Oui les cours de portugais attirent un public jeune à partir de 5 ans.
Projets – A ce jour, mon principal projet est de continuer à partager autour de la culture, des traditions et de la lusophonie. Pour cela, on organise des évènements, des repas de Fado, des spectacles, des soirées dansantes, et évidemment, les cours de portugais enfants et adultes. Je travaille aussi étroitement avec la ville pour la mise en place d’un projet de coopération décentralisée avec une ville portugaise. L’essentiel étant de se faire plaisir, je suis ouvert à tous les projets. J’ai la chance de pouvoir compter sur une équipe formidable. Nous sommes tous dans le même état d’esprit et c’est ce qui fait notre force.



Vous savez, j’accorde une importance particulière à ce que notre association soit ouverte sur le monde plutôt que sur nous-même. Les objectifs ont changé. Nous nous adressons à un public plus large, à tous sans aucune distinction, et surtout pas qu’à des personnes ayant des origines portugaises. Nous avons plus que jamais besoin de nous ouvrir aux autres afin de transmettre notre histoire pour ne pas oublier d’où on vient et pour honorer nos ancêtres…
Enfin j’ajouterai une chose encore ; ces dernières années nous avons beaucoup fait d’autodérision sur notre langue, nos habitudes, nos comportements et ça me fait beaucoup rire d’ailleurs ! Néanmoins, cela ne doit pas être la seule manière de faire parler de nous.
Je souhaite mettre en avant le portugais moderne, loin des clichés ! Montrer ce que nous avons dans le ventre… Que nous sommes bien plus que des clichés 
Interview
António Madeira : Un lusodescendant dans les vieilles vignes du Dão

Publié
il y a 10 moisen
01/06/2022Pour
Alice Barros
En 2010, il décide de revenir, avec sa famille, s’installer dans la région de ses grands-parents : le Dão, autrefois connu comme l’un des plus beaux terroirs pour la vigne où se produisait ce qu’on appelait les «Grands Crûs des hauts plateaux du Dão».

Antonio est né à Paris où il a grandi et travaillé comme ingénieur pendant une quinzaine d’années. Le vin est devenu une passion qui a débuté entre amis. Du fait de ses racines familiales, il s’intéresse aussi aux vins portugais. Il découvre alors que la région de ses grands-parents au Portugal, le Dão, était la plus ancienne AOC du pays (1908) et qu’il y avait là un potentiel naturel pour produire de grands vins de garde, sur la finesse et la fraîcheur, aussi bien en blanc et qu’en rouge. Les vieilles vignes centenaires, complantées de 40 cépages autochtones, se trouvaient dans un état d’abandon progressif. Il y a vu une opportunité pour changer de vie et tenter de vivre de sa passion pour le vin.
La philosophie du domaine :
le respect du sol, de la plante et du fruit, à savoir l’expression du terroir de la Serra da Estrela. Il n’utilise aucun pesticide et travaille ses sols au cheval. Dans les chais, il utilise des levures indigènes et des fermentations en cuves ouvertes. Le vin, qui est plus infusé qu’extrait, poursuit son élevage dans des barriques neutres pendant 18 mois.

Un vin se forme par l’assemblage de trois éléments indissociables : le terroir, la main du vigneron et l’année. Comment êtes-vous arrivé à réunir ces éléments?
Par des pratiques et des modèles que j’ai trouvés en France; en Bourgogne et un peu partout dans différentes régions. Ensuite, en cherchant à appliquer ces méthodes dans le terroir du du Dão, là où j’ai mes racines familiales, pour justement révéler l’expression de l’originalité de ce terroir dans les vins que je produis. Cela consiste essentiellement à retravailler les vignes avec des méthodes ancestrales comme le faisaient nos grands-parents.
C’est un vin naturel appelé biodynamie. D’abord j’applique ces principes dans les vignes et ensuite, au niveau du chai avec les levains indigènes, sans vins Trans – sans produits chimiques – de manière à avoir un vin très pur, sans interférence entre le terroir et ce qu’on a dans le verre. L’idée est de retrouver les différents éléments du paysage du pied de la montagne de Serra da Estrela : le granit, les fleurs, les résines, les pins, les herbes aromatiques et toutes sortes d’éléments. Ainsi que l’on soit à Paris, à Tokyo ou à New York… quand on met le nez dans le verre on retrouve le paysage du Dão. C’est à la fois un voyage géographique et un voyage dans le temps, car je travaille les vignes qui ont pour les plus anciennes jusqu’à 130 ans, où on trouve 40 / 50 cépages mélangés dans les rouges. Un voyage pour regoûter les vins du Dao de la fin du XIX siècle, début du XX siècle qui sont très différents des vins des 30 dernières années au cours desquelles les vignes ont été arrachées et replantées en bloc mono cépage et mono clone. La vigne et le chai ont subi des méthodes de travail industrielles qui standardisent énormément le résultat final.
En agissant comme nous le faisons nous avons des vins originaux qui vont chercher les sens même du Dão; un peu comme des musées vivants où nous avons de très vieilles plantes, avec de très vieux cépages autochtones qui ont mis des siècles et des siècles à se développer et qui pour moi représentent l’Identité du Dão.
Qu’est ce qui vous a amené à devenir vigneron au Portugal ?
Comme beaucoup de gens, mes parents ont immigré au début des années 70 en France. Moi je suis né à Paris, j’ai grandi à Paris, j’y ai fait mes études et ensuite j’ai travaillé 15 ans en tant qu’ingénieur. J’ai fait du conseil en organisation industrielle pour des grands groupes industriels.
Le vin est une passion qui s’est développée d’un hobby au fil des années. A un moment, je ne me sentais pas complètement réalisé dans mon travail. Je gagnais très bien ma vie mais pour moi cela ne me suffisait plus. J’avais besoin de me sentir épanoui et j’avais envie de pouvoir vivre une passion. Le vin étant devenu ma passion, je m’y suis intéressé de plus près. J’ai cherché ensuite à comprendre ce qui se passait au niveau du vin au Portugal et là j’ai compris que la région où j’allais en vacances l’été depuis tout petit était anciennement la grande région de vin portugais, considérée un peu comme la Bourgogne du Portugal, mais qui était, depuis 30 ans, dans un processus avancé de dégradation et d’abandon.
Je me suis dit qu’il y avait peut-être une opportunité pour pouvoir faire quelque chose et donc j’ai commencé à étudier le terroir du village de mes grands-parents et alentours en essayant de cartographier et de m’inspirer de ce qu’avaient fait les moines en Bourgogne : répertorier les meilleurs crûs des vins et aussi du savoir empirique des petits vieux du village et en allant me balader en regardant le sol, les plantes, etc. A partir de là, j’ai cherché à louer des parcelles et j’ai commencé à les travailler.
Est-ce que vous diriez que le Portugal a la tradition du vin ?
Oui pour l’ancienne génération. Au Portugal on est passé d’un modèle artisanal qui s’approchait du vin naturel, auprès de nos grands-parents, à un modèle, les 30 dernières années, très industriel.
Les vignes sont travaillées d’une manière générale à tracteur, avec des produits chimiques, des herbicides en sol, des produits dangereux pour la santé. Au niveau de la vinification des vins, faits par des œnologues qui « pasteurisent le vin » et tuent toute la microbiologie, refont un modèle simplifié avec tous les produits œnologiques créant des vins qui n’ont pas d’âme.
Ce sont des vins plastiques et standardisés qui représentent, actuellement 99 % des vins au Portugal. Heureusement, il y a quelques vignerons qui commencent à revenir à des méthodes ancestrales, des méthodes travaillées en biologie et travaillées ensuite en chai avec plus de savoir.
C’est un phénomène qui s’est aussi passé en France et un peu partout. Ce qui se passe c’est que les choses arrivent toujours au Portugal avec un décalage dans le temps, mais ça arrive quand même. Je pense que dans une génération ce sera encore plus développé qu’aujourd’hui.
Dire vin naturel c’est la même chose que dire vin biologique ?
Non. Pour être un vin naturel il faut que ce soit biologique. La différence est au niveau du travail à la cave où on fait le vin.
La réglementation biologique autorise l’utilisation d’une centaine de produits œnologiques pour faire le vin. Pour le vin naturel, ces produits œnologiques ne sont pas utilisés, le vin est vraiment pur, sans chimie. C’est pour cela que moi je n’ai pas de qualification bio que je qualifié de schizophrène car c’est bio à la vigne mais à partir du moment où on rentre dans le chai et que des produits chimiques sont utilisés, moi cela ne me convient pas. Par contre, pour être naturel il faut être bio, c’est une condition nécessaire mais pas suffisante.

Je croyais que le vin bio c’était le maximum qu’on pouvait atteindre d’un vin mais d’après ce que vous dites c’est le vin naturel ?
En fait, le vin naturel c’est la prolongation du bio à la cave, c’est être cohérent de A à Z.
C’est pour cela que je dis que la certification bio a été créée à Bruxelles sous la pression des lobbies. Créée pour que des grands faiseurs, des grands industriels puissent faire des vins dits bio et pour les ventes en supermarché, mais pour moi, ce sont des vins sans âme pour la plupart, parce que justement ils ont été pasteurisés et ont des levures sèches qui ont été faites en laboratoire avec des méthodes chimiques.
Dans les vins naturels on peut avoir de très mauvais vins, cela dépend du travail qui est fait par le vigneron.
Est-ce qu’un bon vin n’est pas une question de goût ? Cette histoire de bon vin, n’est-elle pas subjective ?
Pour moi un bon vin c’est celui que vous goûtez, qui déclenche une émotion et vous donne envie de reboire un deuxième verre. Si vous avez du mal à finir votre verre et vous n’avez pas envie d’un deuxième ce n’est pas un bon vin. Ce n’est pas parce que les gens disent qu’il est bon, c’est une question d’émotion, comme celle vous pouvez avoir face à une œuvre d’art.
Le vin, c’est plus qu’une marchandise. Il y a d’autres dimensions, des dimensions culturelles, ethnologiques, la conservation des bio cépages… Pleins de dimensions qui m’attirent dans ce que je fais. Ce n’est pas une question de vendre un produit, mais plutôt ce qui donne du sens à ce que je fais, ce que je n’avais pas dans ma vie antérieure.
Vous avez des compétences et de l’expérience professionnelle. Vous savez qu’à n’importe quel moment vous pouvez arrêter et rebondir sur autre chose. Est-ce que cela facilite les choses ?
J’ai la chance que cela fonctionne bien au niveau commercial. Mon activité à partir du moment où j’ai des gens pour travailler est totalement viable. Il n’y a pas de raison pour que je change. Je ne me vois pas du tout revenir vivre à Paris, pourtant j’adore Paris, j’adore la France et je me sens français, beaucoup plus que portugais mais je ne reviendrai pas y vivre et y travailler dans l’industrie. Je ne me vois pas du tout revenir vivre dans ce modèle-là. Je suis beaucoup plus épanoui dans ce que je fais aujourd’hui. Même si, c’est vrai que j’ai beaucoup de responsabilités en tant qu’entrepreneur dans ce milieu agricole très difficile à vivre, malgré tout je ne regrette pas.
C’est une chance d’avoir une femme qui vit la même passion et qui vous suit ?
C’est vrai que sans elle rien ne serait possible. Elle est portugaise et lorsque je l’ai rencontrée il y a une vingtaine d’années au Portugal, elle a accepté de venir vivre avec moi en France. Elle était infirmière et a travaillé dans les hôpitaux de Paris. Mais maintenant elle a arrêté pour élever nos trois enfants, car les horaires ne sont pas compatibles.
Quelle qualité doit avoir un vigneron ? Est-ce important la créativité ?
C’est vrai que cela se rapproche de l’art mais ça ne l’est pas complètement parce que je n’ai rien créé. Par rapport à un producteur de vin du Portugal, ce que je fais est très différent. J’ai apporté des méthodes qui existaient en France et je les ai appliquées là-bas. Ce que je fais est une fusion.
Quelle est la tendance de consommation que vous voyez en ce moment ? Tendance d’un vin naturel parce que c’est le mieux ou la tendance de ce que c’est la mode ?
Il y a toujours eu dans le vin des effets de mode lors des dernières décennies. Je suis dans une tendance qui, je pense, dépasse l’effet de mode, plutôt une tendance durable qui s’installe de plus en plus. Tout ce qui est lié au vin naturel, c’est-à-dire des vignes travaillées au minima en mode biologique et vinifié sans produits œnologiques, est une tendance qui est pérenne.
Un peu partout, que ce soit à Paris ou ailleurs, dans les grandes zones urbaines, les consommateurs cherchent de plus en plus à avoir des vins qui sont fins, bons pour la santé, sans produits chimiques et qui ont une identité qui procure de l’émotion. Au Portugal je suis l’un des pionniers. Nous sommes au tout début et c’est pour ça qu’aujourd’hui je vends à peu près dans 33 pays dans le monde, alors que j’ai commencé il y a à peine une dizaine d’années.
Quels sont vos projets futurs vis-à-vis de votre terroir, votre vin et de vous-même ?
Mes projets sont surtout d’arriver à stabiliser une équipe solide et complémentaire qui me permettra de prendre du recul et d’avoir un équilibre dans ma vie globale. Entre la dimension professionnelle et personnelle, ces dernières années j’ai énormément travaillé et cela m’a demandé beaucoup d’efforts et de sacrifices pour développer mon activité et la rendre pérenne.
Allez-vous continuer à louer ou avez-vous l’intention d’acheter vos propres vignes ?
Vous savez, six générations ont tissé un lien affectif avec leurs vignes. C’est leur bébé. Ils ont passé toute leur vie à les travailler. Ils sont tristes de les voir mourir. Alors quand un jeune veut bien s’en occuper, ils sont très contents et, en plus, ils reçoivent un loyer annuel. Moi aussi je suis très content car au début je n’avais rien : pas de vigne, pas de chai, uniquement des idées. Maintenant je peux travailler avec de belles parcelles.
Comme je vinifie les parcelles séparément, je les mets les meilleures en bouteille comme l’expression d’un crû, et ainsi au long des années, je cherche à acquérir les parcelles qui me plaisent le plus. En ce moment, je dois être propriétaire de 10% à 15% des parcelles. D’autres, je dois les abandonner car il y a trop de travail et comme je suis perfectionniste et je fais les choses à fond, j’ai du mal à faire le tour de tout en temps et en heure car c’est très consommateur de main d’œuvre.
Cela veut dire que vous misez plutôt sur la qualité ?
C’est mieux. Je pense aussi investir dans le vin et de ne pas faire comme on le faisait à un moment donné, sans qualité et obligé de le vendre à prix coûtant. Maintenant on se concentre dans le bon pour le vendre plus cher, surtout quand on est un petit vigneron comme moi. Pour faire le volume, il faut être une grosse machine, une grosse entreprise industrielle avec de très grandes surfaces avec des moyens adaptés.
Comment s’appelait votre première bouteille ?
Celle que j’ai commercialisée en premier est une bouteille d’un rouge « Vinhas Velhas 2011 »

Interview
Vins portugais dans la cour des grands à Paris
Au lendemain du Salon Wine Paris et Vinexpo Paris 2022, où plus de 25 000 visiteurs se sont déplacés.

Publié
il y a 1 anen
18/02/2022Pour
Alice Barros
Nous sommes allés à la rencontre du Président de ViniPortugal, Frederico Falcão, pour faire un point sur les trois jours au cours desquels 55 producteurs portugais ont dévoilé leurs trésors cachés.
Quelle était la température des vins portugais ?
Ils étaient à la bonne température pour être servies et appréciés par ceux qui nous ont rendu visite. Nous sommes satisfaits de ce salon. C’est la deuxième année que nous venons à Paris. La première année, il y avait 31 producteurs et cette année nous en avons eu 55 qui représentaient toutes les régions du Portugal. Ce fut un événement d’une grande diversité de vins. Le premier rendez-vous important après deux ans en raison de la crise sanitaire.
Le Portugal est-il en phase d’internationalisation ?
Oui. Nous sommes très en vue, à tel point que lorsque quelqu’un rentrait dans le Pavillon, celui du Portugal attirait tout de suite l’attention. D’une certaine manière, nous avons suscité des envies, si je puis dire, de la part d’autres pays parce qu’en fait nous avions un beau pavillon, bien placé et une belle visibilité. Je pense que nous étions un exemple à suivre.

Le Portugal a-t-il pris soin d’améliorer son image ?
Clairement! Cela fait quelques années que nous avons des vins fantastiques. Mais nous avions une mauvaise image au niveau international. Notre travail et notre œnologie ont aussi grandement amélioré la qualité des vins, mais c’est l’image que nous travaillons le plus pour montrer au monde ce que nous avons de mieux. Au lieu de nous cacher au Portugal, nous sortons des produits prestigieux, ayant une bonne représentation, une bonne image. Une image plus attirante, afin de séduire les consommateurs pour qu’ils deviennent plus facilement adeptes des vins portugais. Et c’est ce que nous ressentons un peu dans le monde et de la part de ceux qui dégustent les vins portugais. Nous avons des données qui montrent que ces dernières années, dans les 20 pays où ViniPortugal travaille, en terme de production, nous nous développons plus rapidement que nos concurrents. Nous gagnons des parts de marché car nous avons de bons vins, à bon prix et parce qu’ils sont différents. La diversité des cépages et des régions marquent cette différence. Nous avons beaucoup à offrir au monde. C’est un peu comme un trésor caché qui se dévoile maintenant.
La proposition n’est donc pas de vendre des “tonnes” ?
C’est exactement notre stratégie ! Nous exportons actuellement 47% de ce que nous produisons, nous augmentons nos exportations en valeur d’environ 8% et en volume d’environ 5%, ce qui veut dire que dans 10 ans, nous aurions 50% et nous n’avons pas la quantité pour cela. Notre objectif n’est pas d’augmenter les volumes exportés, mais plus de valeur, de montrer et de vendre les meilleurs vins que nous avons. Ainsi, de nous affirmer au monde par la qualité.

Le développement du vin Bio et Naturel a-t-il un sens dans ce contexte ?
Parler de vins naturels est un peu étrange. Il n’y a pas de véritable définition. Le terme naturel est toujours difficile car il donne l’impression que les autres sont artificiels, ce qui est faux. Je préfère les appeler : “vins à faible intervention”. Attention ! Il existe de nombreux vins normaux sans ostentation d’appellation Bio ou Naturel qui sont issus de vieilles vignes à faible intervention et souvent avec des vignes en système biologique. La tendance actuelle des oenologues est de s’impliquer de moins en moins dans la vinification et de respecter davantage le terroir.
Même ainsi, ce sont des niches et je pense qu’ils continueront d’être une petite niche de marché. Les vins bio ou cette nouvelle tendance qui existe aujourd’hui pour les vins certifiés durables, je pense que ce sera la tendance. Encore plus en certification durable qu’en biologique.
Cette soutenabilité englobe trois aspects et finit par être assez complète : Durabilité environnementale, sociale et économique. Les caves au Portugal suivent déjà ces trois aspects. De plus en plus, nous avons des vins certifiés par la durabilité et ceux-ci se développent beaucoup.

Est-ce un projet de la ViniPortugal ?
C’est un projet que ViniPortugal prend également en charge. Nous avons une certification régionale au Portugal, comme c’est le cas en Alentejo. Ce que nous voulons, c’est une certification au niveau national. ViniPortugal, en collaboration avec l’Institut de la Vigne et du Vin, ont créé un projet de certification nationale de durabilité, c’est-à-dire mettre toutes les régions sur un pied d’égalité, afin que toutes puissent accéder à un système qui offre des certifications pour leurs soins en terme de durabilité, qui est la voie suivie au Portugal et dans la plupart des pays. Bien qu’il existe de nombreux produits suivant la voie biologique et que ce soit aussi une tendance, une chose n’empêche pas l’autre, ils peuvent et doivent être biologiques et en même temps avoir le sceau de la durabilité qui est plus impliquée et plus complète.
Pensez-vous que le marché a besoin de cette accréditation ?
Nous le ressentons sur plusieurs marchés, notamment sur les marchés nordiques, centre de l’Europe, comme c’est le cas des Pays-Bas, qui commencent également à exiger ces certificats de durabilité de leurs fournisseurs. Le Canada s’oriente dans cette direction, tout comme les États-Unis et le Japon. De plus en plus de pays exigent de leurs fournisseurs qu’ils détiennent une certification de durabilité. C’est clairement ce que nous ressentons partout dans le monde car c’est aussi une demande des clients. Lorsqu’ils achètent un produit, ils veulent savoir que les producteurs qui fabriquent ces produits sont très soucieux de la durabilité en termes environnementaux, sociaux et économiques.
La Saison France-Portugal a été un plus pour le Pavillon du Portugal ?
Pour nous, c’était important. Il faut saisir ce moment. Dans ce sens, nous aurons des actions avec l’AICEP et l’Ambassade du Portugal à Paris durant cette période. Il y aura des dégustations de vin où les oenologues expliqueront leurs vins et nous inviterons aussi des chefs. Nous devons en quelque sorte profiter de cette période commémorative et promouvoir davantage le Portugal et ses produits, dans notre cas le vin.

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