Nous sommes tous le “vieux” de quelqu’un…

Les personnes âgées ont toujours eu le rôle social de gardiens de la mémoire, pour une raison évidente : leur expérience.

Dans les sociétés occidentales, ce rôle s’est progressivement perdu au cours de l’histoire. Certes, le concept de famille conserve toujours une grande importance dans la reproduction sociale mais les valeurs se sont transformées.

On ne saurait nier que nous vivons dans une période obnubilée par le présent à court terme, un présent tyrannique qui oublie rapidement le passé et qui veut toujours aller plus vite.

L’idée que les générations successives partageraient des valeurs reçues des aînés n’a pas résisté à l’évolution de notre mode de vie.

Même dans les cultures dites traditionnelles comme celles d’Afrique, le vieil homme qui était perçu comme source de sagesse et de prestige, souffre aujourd’hui de se sentir inutile ; la nouvelle génération ayant trouvé d’autres maîtres (livres, radio, cinéma, télévision).

La retraite est souvent associée à l’entrée dans la vieillesse.

Cette étape tant attendue où, enfin après une vie de travail, on accède au repos, au bonheur ! Notez que ce point de vue vient souvent de ceux qui sont encore en activité ! S’ il est vrai que le retraité d’aujourd’hui peut raisonnablement penser à une deuxième vie active, celui-ci ne peut oublier qu’inévitablement, cet « âge d’or » rejoint un jour « le grand âge » avec ses déficiences physiques, psychologiques. Ce passage par certains peut se révéler beaucoup plus compliqué pour d’autres, car c’est la fin d’un cycle. Pendant la plus grande partie de leur vie, ces personnes ont été évaluées, valorisées et parfois même existé au travers d’une carrière. La vie professionnelle a été si investie que son arrêt provoque une vraie rupture, en particulier chez les anciens cadres. Socialement, ils ne seront plus présentés comme médecin, directeur ou enseignant, mais tout simplement… retraité, mettant ainsi tout le monde sur le même niveau.

Par ailleurs, nous ne pouvons nier que, dans notre société moderne il y a une stigmatisation des personnes âgées. Un vieux, ça se plaint, c’est insupportable, c’est « chiant »…

Celui qui vieillit en a parfaitement conscience et sait que l’on ne sera pas très indulgents avec lui et qu’il devra faire face à de nouveaux comportements à son égard. Ils peut alors, commencer à se trouver inintéressant car « inutile » et peut vivre cette étape comme une mort sociale, alors que paradoxalement, l’espérance de vie sans incapacité est régulièrement en hausse.

Les psychologues font d’ailleurs le rapprochement avec le processus psychique de l’adolescence (survivre à la disparition de l’enfant qui est en soi pour laisser la place à un adulte en construction). Cette étape faite de changements physiques et de comportements inhérents comme l’irritabilité, les sautes d’humeur et parfois un état dépressif, peut se révéler très compliquée. Mais aux yeux de la société, ces comportements sont parfaitement acceptés et suscitent la compréhension et la bienveillance, mais pas ceux des « vieux ».

«Vivre, c’est perdre» (Czechowski).

Vieillir, c’est perdre ! La santé, les amis, la mobilité, parfois un train de vie… un avenir.

Qui peut dire que ces pertes importantes n’ont aucun impact et n’affectent pas l’état émotionnel ? N’est-il pas normal de ressentir des émotions négatives ?

Cet impact psychologique ne doit pas être négligé car il peut cacher un problème plus grave: une dépression.

Le taux de suicide chez la personne âgée est à prendre au sérieux. A partir de 65 ans, les études montrent que ce taux augmente progressivement. Dans certains cas, les difficultés matérielles et psychologiques s’accumulant, certains se laissent tout simplement mourir et font le choix d’un véritable suicide que certains appellent un « suicide altruiste ».

Cela doit nous inciter à être attentifs à tous les indices qui font soupçonner un risque potentiel de passage à l’acte : changement d’humeur, tristesse, isolement, manque d’appétit, irritabilité, agressivité…

Le problème réside dans l’évaluation de la situation, car encore une fois, ces signes sont souvent jugés comme normaux pour les personnes âgées. A cause de cela, les membres de la famille tardent à consulter. Nous savons que le cycle de vie est entrecoupé de périodes de stabilité et de périodes de transition qui consistent à s’adapter à une nouvelle situation de notre vie.

Il est aussi vrai que nous avons du mal à imaginer notre propre vieillesse. Et pourtant, il est très probable que nos enfants nous traiteront comme nous traitons nos personnes âgées.

Un regard éthique sur la vieillesse serait de regarder la personne pour ce qu’elle est maintenant et non pour ce qu’elle a été ou ce qu’elle sera. La vie devrait rester un plaisir à tout âge. Car sinon, à quoi bon vivre si le seul objectif est de s’occuper pour chasser l’ennui?

Changer notre regard sur ceux qui ont vécu plus que nous, être aussi bienveillants avec eux qu’avec nos adolescents our les comprendre, pourrait leur éviter de la souffrance. Faisons en sorte que nos réactions et comportements ne soient pas un problème suplémentaire pour eux.

Le devoir de mémoire est sans aucun doute une responsabilité collective envers le passé, l’Histoire. Mais la mémoire individuelle est fondamentale, car nos personnes âgées font directement partie de la notre.

La transmission de valeurs, connaissances, culture est vitale et comme dirait Martin Luther King : « Ce n’est pas nous qui faisons l’histoire, c’est l’histoire qui nous fait ».

Mais n’oublions jamais que nous sommes tous le vieux de quelqu’un. Et c’est un sacré privilège.

Sources indice suicide : “conduites-suicidaires.com”